Introvertie et hypersensible…


Attention, post « introspection ». Ben oui, vu le titre…
(A noter que je parle de ma propre expérience, qui sera donc évidemment différente de celles d’autres introverti.e.s, tant les profils peuvent être variés.)

Dans notre société de la gagne et de la performance, on entend régulièrement dire qu’il faut savoir dépasser ses limites. Je n’y prêtais pas plus d’attention que ça mais des circonstances personnelles ont fait que je me suis petit à petit rendu compte de la nocivité d’un tel message.
Nous avons tous nos limites, dans tous les domaines. Physiques, psychologiques, nerveuses, etc. Et selon cette idée, il faudrait donc ne pas craindre de les dépasser, pour atteindre ses objectifs, devenir plus fort/riche/important/populaire et autres symboles de la réussite valorisés aujourd’hui.

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Depuis quelques mois, je commence à comprendre un peu mieux comment je fonctionne, notamment en prenant conscience que je suis une introvertie hypersensible. Rien de dangereux, de pathologique ou de suspect, juste un tempérament relativement répandu, très diversifié, mais hélas bien souvent totalement ignoré et donc incompris par beaucoup. Y compris par celles et ceux qui pourraient s’y reconnaître ce qui peut créer des situations plus compliquées. Ainsi, je commence à penser que ma mauvaise prise en compte de ça  est sans doute un des facteurs de mon agoraphobie. Forcément, en ne reconnaissant pas les premiers signaux d’alerte envoyés, je dépassais justement allègrement mes limites, m’usant nerveusement, psychologiquement et physiquement. Le seul moyen de m’obliger à m’arrêter était alors d’employer les gros moyens et d’envoyer de nouveaux signaux nettement plus handicapants et douloureux. Efficace mais violent…

hypersens01Bref, je m’identifie donc comme introvertie hypersensible (sachant que 70% des hypersensibles seraient introvertis. Je plains les 30% d’extravertis, ça doit être compliqué de combiner les deux…). Qu’est-ce que ça veut dire ?
Je ne suis pas très à l’aise en société. Je ne déteste pas mon congénères mais je ne sais pas trop gérer mes relations avec eux. Je suis plus à l’aise en tout petit comité amical ou avec mon amie, que dans une grosse fiesta remplie de monde, même super sympa. Je vous laisse imaginer ma seule sortie en boîte, quand j’ai eu mon bac : des pièces enfumées, ultra-bruyantes, inondées de flash lumineux éblouissants, stroboscopiques, remplies à craquer d’ado en sueur qui gigotent et sautent en hurlant, passablement alcoolisés. Une de mes visions de l’enfer…
Là où beaucoup ont besoin des autres pour se ressourcer, où ielles vont refaire le plein d’énergie après une journée chargée en allant au resto avec des amis, je préfère largement rester sur mon canapé à bouquiner. Pas que je déteste des repas entre amis dans l’absolu mais ça m’épuise très rapidement, encore plus si c’est bruyant, lumineux, peuplé. Un cauchemar, qui peut me déclencher une crise de panique en plein repas (idéal pour mettre l’ambiance…).
Rien qu’une invitation me donne envie de fuir. Mais allez faire comprendre ça à celles et ceux qui n’y voient là que du plaisir ? Vous passez forcément pour la coincée, la chieuse, la misanthrope, la trop sérieuse qui ne sait pas s’amuser (et en plus elle picole pas…). La pas rigolote qu’on ne va pas essayer de comprendre et finalement laisser de côté. Celle qui ne veut pas faire d’effort et ne s’intéresse qu’à elle. On est pourtant nombreux.ses à être comme ça mais beaucoup ont réussi à s’adapter à cette société où l’extraversion est valorisée, où la solitude est forcément triste et terne.
Personnellement, je n’arrive pas à trouver l’équilibre entre « trop » et « trop peu ».

Je ne pars pas en vacances : les voyages m’angoissent, même si je trouve formidable de découvrir de nouvelles choses ou rencontrer de nouvelles personnes. Simplement, je n’arrive pas à le gérer.
Régulièrement des amis ou de la famille me proposent de venir les voir à l’autre bout de la France. Je ne peux pas. Ça me ferait plaisir de les voir mais je ne peux simplement pas. Nerveusement, psychologiquement, ça me boufferait.
Ne m’invitez pas au resto, même si c’est une très bonne intention, mais il y a des chances que ça me flippe grave. Je n’en profiterai pas et je risquerai fortement de gâcher la sortie.
J’aime aller au ciné seule car je sais que je n’aurais que moi à gérer, que je pourrai m’asseoir en bout de rang sans problème pour pouvoir partir si besoin (toujours une issue de secours, toujours !) et que je n’aurai donc aucun stimulus d’un éventuel accompagnateur, pas de conversation à faire. Bien évidemment, c’est aussi sympa d’y aller à deux mais source potentielle de stress…
N’attendez pas de moi que je lance la conversation : j’en suis incapable. Je vais réfléchir 10 ans pour trouver un truc bateau à dire, et ça va paraître tellement peu spontané et débile que finalement, je ne dis rien. Les discussions mondaines m’emmerdent prodigieusement. Je suis capable de discuter des heures avec une ou deux personnes avec qui je me sens bien, sur des sujets précis, pour des discussions un peu profondes, sans problème. Mais en dehors de ça…

Il y a peu, j’étais à une réunion d’une association. On était une quinzaine. Bonne ambiance, tout ça. Sauf que j’ai rapidement compris que ma limite n’était pas loin. J’ai parfaitement joué mon rôle de tapisserie (des années d’expérience !) et me suis chopé un bon gros mal de tête avec les lumières du bar (vide et calme) où on était. Des lumières roses un peu flashy et faible luminosité, j’étais à deux doigts de mettre mes lunettes de soleil (bonjour la snob). Plein de gens qui parlent et rigolent entre eux. Moi au milieu intérieurement quasi-paniquée mais dotée de mon masque d’impassibilité (là encore, des années d’expérience) qui me donnent pour certain.e.s un côté hautain et dédaigneux alors que je suis en plein complexe d’infériorité. « Comment font ces gens pour être si à l’aise ? Je peux pas m’incruster, j’ai rien à dire… Pourquoi je suis là ? Pourquoi je sais pas gérer ça ? Ca a l’air tellement facile pour elles ! ». Pendant ce temps-là, on pense que je fais la gueule ou que je me la pète.
Je ne sais pas trop non plus gérer mes émotions, même si j’ai appris à le cacher, quitte à faire vide et creuse (la gentille idiote dont on aime se moquer). Je chiale d’émotion facilement. J’essaie d’éviter de ressentir trop fortement les choses sinon j’explose vite. Je sur-réagis. Je suis « trop sensible », évidemment, je « n’ai qu’à faire des efforts »…

introvert02Je ne dis pas tout ça pour me faire plaindre ou me victimiser. Juste pour faire comprendre qu’il y a des gens comme ça, qui dans une foule ou un groupe vont sembler un peu à part, ne sachant pas trop où se poser, quoi faire, et qu’ils ne sont pas méchants, juste pas très à l’aise avec tout ça.
Quand j’étais salariée, j’étais dans un open space. LE truc insupportable pour quelqu’un comme moi, toujours bruyant, toujours en mouvement. OK, le winner extraverti, ça va peut-être le motiver et lui donner un max d’énergie, moi ça va me bouffer. Je mangeais sur place le midi, pas de cantine, pas de resto d’entreprise, ou parfois on allait dans des resto… bien bruyants. Je devais faire une heure de route matin et soir, passer par un col régulièrement enneigé, me taper des embouteillages monstrueux. J’ai même eu droit à quelques tempêtes de neige où on se retrouvait bloqués pendant 2-3h sur l’autoroute, avec les roues qui patinent à chaque redémarrage.
C’est là que mon agoraphobie a débuté. Trop d’éléments qui me poussaient à bout. Qui rongeaient mes limites morceau par morceau. Limites très basses du fait de mon hypersensibilité (aux médoc, au toucher, au bruit, aux lumières, aux odeurs, aux émotions, etc.) et je n’avais pas le temps de récupérer entre chaque. Je faisais alors des crises, de panique, d’angoisse, des maux de ventre monstrueux. Parfois tous les jours. Le matin quand je devais partir. Le soir après le repas. Des crises qui me vidaient littéralement de toute mon énergie, toute ma volonté.

Maintenant, je bosse chez moi. Mon environnement est calme… du moins quand Monsieur Teckel n’essaie pas de montrer qui est le patron dans le quartier 🙂 Et j’apprends petit à petit mes limites, mes signaux d’alerte. Je comprends que si je me tapais des crises à chaque fois que je partais à Angoulême ou à Japan Expo, c’est parce que mon hypersensibilité avait été explosée par les innombrables stimuli rencontrés. Que si je suis si mal le mercredi à chaque édition du Festival d’Annecy, c’est pour la même raison, et qu’il ne faut pas que j’en fasse trop. Parce que ça me rattrape toujours. Alors tant pis si je fais moins de séances, du moment que je peux mieux en profiter.
C’est pour ça que désormais, j’essaie de m’écouter et de détecter les signaux d’alerte. Qui sont très identifiables mais que notre éducation occidentale nous apprend à ne pas voir. Parce que c’est être faible, être lâche, ne pas assez se défoncer, ne pas assez se battre. Parce qu’il y a plein d’introvertis qui arrivent à jouer le jeu (saviez-vous que Barack Obama est un introverti ?). Et que moi, je n’y arrive pas. J’essaie d’aller vers les autres mais je me suis pris beaucoup de murs dans la gueule et à force, on se dit qu’on n’est pas si mal tout seul… On se dit qu’on n’est pas très intéressant de toute façon, qu’on n’a pas grand chose à partager vu le vide sidéral de notre vie, juste à bouquiner sur un canapé avec le chien sur les genoux. Qu’on n’a pas grand chose à apporter, qu’il y a plein de gens qui feront ça bien mieux que nous. De quoi causer avec des extravertis qui bougent tout le temps, font du sport, multiplient les sorties en boîte ou en week-end, voyagent quand soi-même on peut juste causer bouquins ou séries TV ?
Et pourtant, on sait bien qu’on a besoin du contact de l’autre. On reste des animaux sociaux. Sans relation, les neurones disparaissent bien vite (et ce n’est pas beau à voir…). Mais comment gérer ce besoin face à des gens qui n’ont pas la moindre idée qu’on ne fonctionne pas du tout comme eux et qui ne peuvent même pas l’imaginer, même si on tente de l’expliquer ? Qui ne comprennent pas, et qu’on ne comprend pas trop non plus, quitte à surinterpréter toutes leurs réactions ?

Alors non, désolée, mais dépasser mes limites, très peu pour moi. Mes limites me permettent de (sur-)vivre sans trop me pourrir la vie. Elles me sont essentielles si je veux ne pas enchaîner crise sur crise et me bousiller la santé. Même si parfois, elles me font craindre de m’enfermer encore plus dans mon intériorité et de me couper de toute possibilité d’autre chose…
On parle aussi beaucoup de « zone de confort » dont il ne faut pas avoir peur de sortir régulièrement pour avancer et ne pas s’enliser. Il est vrai que cela peut paraître potentiellement dangereux de rester constamment dans le confort, sans risque, sans contradicteur, sans bousculade. On peut alors devenir très auto-satisfait, ne jamais douter, ne voir que son propre nombril, adopter une pensée simpliste, réductrice, stéréotypée et complaisante par manque de points de vue extérieurs auxquels se confronter.
Et en même temps, Susan Cain (dont j’ai le livre à lire) parle de « zone de stimulation » où se mettre pour maximiser ses talents : beaucoup de stimulations pour les extraverti.e.s qui en ont besoin, peu et choisies pour les introverti.e.s qui doivent se protéger du trop plein (surtout s’ielles sont hypersensibles). La « zone de confort » et la « zone de stimulation » se rejoignent-elles ?
Bien évidemment, il ne faut pas se forcer violemment à aller contre sa nature, comme il ne faut pas s’enfermer comme un ours. Il y a un équilibre à trouver, celui qui nous permette de respecter toutes nos facettes tout en dénichant notre place dans le monde qui nous entoure. Et le trouver, c’est une chose, mais il faut réussir à le garder…

En lien :
Une intervention TED de Susan Cain, qui a donc écrit La force des discrets – Le pouvoir des introvertis dans un monde trop bavard
Le livre de Laurie Hawkes : La force des introvertis – De l’avantage d’être sage dans un monde survolté (qu’on m’avait conseillé, merci)
Le livre d’Elaine N. Aron : Ces gens qui ont peur d’avoir peur – Mieux comprendre l’hypersensibilité (qu’on m’avait aussi conseillé, merci aussi)
(Un extraverti m’a dit un jour qu’il fallait que je sorte ma tête des livres et que je n’y trouverai pas toutes les réponses. C’est vrai, mais ça donne quand même quelques premières pistes de réflexion…)

J’ai mis plusieurs jours avant de décider si oui ou non je mettais ce billet en ligne. Peur qu’il ne soit que du verbiage inintéressant/plaintif/narcissique qui n’apporte rien. Ça me semble être assez révélateur de la nature introvertie…

9 réflexions sur “Introvertie et hypersensible…

  1. Mmm… En tout cas, tu as beaucoup de courage, de parler de ça « publiquement ». J’avoue que je comprends très bien les gens qui préfèrent rester seuls pour se ressourcer. La norme sociale est épuisante, au quotidien. Souvent, il faut se forcer, par « politesse » etc…
    Bon, si je comprends bien, si on veut te voir, mieux vaut passer directement chez toi… Ah ah, qui sait ? Peut-être qu’un jour je passerai vers Annecy !

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    • Merci. Perso, me forcer, je ne sais pas trop faire et le prix à payer est trop élevé. Mais ça te catalogue très vite face aux autres et difficile de faire quelque chose pour contrebalancer ça…
      Mais oui, pour me voir, faut être sur Annecy. C’est sûr que ça limite 🙂 (Et c’est frustrant, il y a plein de gens que j’aimerais voir mais…)

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  2. Ah le fameux post 🙂
    C’est vrai qu’il a une consonance plus personnelle que tes autres billets militants mais en même temps, le militantisme a toujours une histoire derrière lui. Donc ton post ne détonne pas, je trouve.

    Sinon, je ne sais pas trop quoi dire de plus, je me suis rendu compte récemment aussi qu’on pousse toujours les gens à changer et à être « plus XXX, plus YYY », sans savoir exactement pour quoi. Personnellement, je suis aussi introvertie, mais pas hypersensible je pense, et j’aime bien les défis. Mais pas ceux du genre « aller supporter une boîte de nuit » alors que je n’en tirerais rien 🙂

    Et si ce n’est pas indiscret, comment est ton amie ? Juste pour savoir si vous êtes très différentes et avez des besoins différents (nous, on est deux asociaux qui se comprennent).

    Merci d’avoir publié ce post en tout cas 🙂

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    • Merci 🙂
      Elle est introvertie également mais je crois qu’elle parvient à le vivre mieux que moi. Peut-être parce qu’élevée par deux extravertis qui lui ont donné quelques habitudes. Elle saura faire la conversation sans problème (elle papote sans souci avec la coiffeuse, je suis incapable de sortir un mot). Et adore passer toute la journée dehors à jardiner, sans qu’on voit personne du week-end (elle déteste encore plus sortir que moi, sauf pour des promenades dans la campagne autour).

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      • Au début j’étais vraiment du genre à ne pas papoter avec les coiffeuses ou autres gens croisés rapidement, et puis travailler dans un tout petit restaurant m’a permis de me mettre un peu à leur place. Quand on bosse tous les jours dans quelques mètres carrés avec les quelques mêmes collègues sans trop d’ouverture sur l’extérieur, c’est toujours sympa de parler un peu avec quelqu’un d’autre (oui je les vois mal dire « attendez je mets à jour mon statut Facebook et je vous fais votre couleur » tout comme moi je ne peux pas dire « oui l’entrée mettra un peu plus de temps à arriver que prévu mais vous comprenez il fallait que j’annonce à tous mes followers que *agrippe le client par le col, des étoiles plein les yeux* JOËLLE JONES VA DESSINER DEUX CHAPITRES DE SPIDER-WOMAN JE VEUX DIRE JOËLLE JONES QUOI OMG JOËLLE JONES »).
        Une des principales habituées du restaurant en question était d’ailleurs la vieille tenancière du salon de beauté d’en face, grande fan de Marine Le Pen et qui aimait arriver en beuglant « T’ES LAAAA ? » (plutôt que « bonjour, vous savez si la patronne est là ? »).

        BREF, tout ça pour dire que dans ce contexte, papoter même de rien avec des gens qui passent et qui ont juste l’air sympa tout ça, eh ben c’est COOL. Avant j’avais tendance à psychoter joyeusement façon « nan mais de toute façon j’ai rien d’intéressant à dire, je veux dire on va pas parler du temps qu’il fait c’est tellement BATEAU plutôt crever que de parler du temps qu’il fait », maintenant je réalise que le simple fait de parler de banalités peut être agréable pour la personne en face. Voire agréable tout court, on ne sait jamais sur quoi la conversation va dériver 🙂

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  3. Mais il est excellent ce texte ! Il aurait été dommage que tu ne le publies pas 🙂

    C’est effectivement courageux de ta part de parler aussi librement de ta situation. C’est très instructif, d’autant plus que ce sont des sujets peu abordés dans notre société. Trouver sa place, son équilibre, c’est aussi quelque chose qui m’interpelle beaucoup. Je pense que tu as très bien dit ce que je pense à ce sujet.
    Pour ma part, je suis plutôt introvertie, mais le bruit ou l’agitation a tendance à me détendre. C’est un peu comme si les autres me libérait de l’obligation de m’activer ou de parler en le faisant à ma place. Et je trouve très intéressant de lire l’expérience d’une personne qui réagit différemment.

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  4. « Pendant ce temps-là, on pense que je fais la gueule ou que je me la pète. »
    Combien de fois on m’a fait cette remarque…
    Et pourtant je cumule, petit zèbre hyperactif, introvertie et hypersensible. Tout ça, je ne le savais pas avant de lire des témoignages de personnes comme toi, alors tu as vraiment bien fait de poster ce texte. Tu as peut-être aidé quelqu’un d’autre à se comprendre 😉

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  5. Merci pour ce texte. Il me fait sentir moins seule !
    Je m’y reconnais complètement, j’ai même l’impression de l’avoir écrit !
    Je pense que c’est en parlant plus que les extravertis nous comprendraient un peu mieux…

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