Le masculin n’est pas neutre


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C’est amusant (euh non en fait) comme c’est toujours aux femmes qu’on va demander de faire des efforts sur la parité. Une réunion non-mixte ? Quelle horreur. Le relais de blogs ou YT féminines ? Misandrie. La mise en avant d’autrices ? Insupportable. Avec à chaque fois la même rengaine : « Si c’est pour remplacer le tout masculin par le tout féminin, ça n’a aucun intérêt ! ». Certes. Mais pourquoi en faire la remarque exclusivement aux femmes qui tentent des choses, plutôt qu’aux hommes qui se complaisent dans leur non-mixité testostéronée sans aucun problème ?

Pourquoi ? Parce que le masculin est vu comme neutre là où le féminin est vu comme un choix ou une exception (on ne représente que 50% de la population après tout). Pourquoi (bis) ? Parce qu’on vit dans une société patriarcale, malgré toutes les dénégations outrées de certain.e.s, où les règles et les lois ont été établies par les hommes pour les hommes. Et que par défaut, le masculin sera toujours avantagé.
C’est notamment suite à diverses petites affaires twittesques que m’est venue cette réflexion.

Déjà la remise en question de l’écriture inclusive. Vous savez les « e.s » et autres « ceux/celles » que vous pouvez trouver sur des blogs féministes (dont celui-ci). Oulàlà, mais c’est débile et c’est moche voyons. Ces mêmes personnes qui sont enthousiastes quand des mots comme « tweeter » ou « poke » entrent dans le dictionnaire s’offusquent alors de voir la langue française « instrumentalisée » par de vilaines militantes. Or les langues sont en constante évolution. Et pour une fois qu’on essayait d’être paritaires, c’est dommage ! On peut tout mettre par défaut au féminin si vous préférez, personnellement ça ne me dérange pas…
On s’entend alors dire que c’est un détail, que se préoccuper de l’écriture quand même, il y a des combats plus importants. Ah bon ?
Les mots, on les utilise pour décrire notre monde, ils en sont donc un reflet, un indicateur. Le fait qu’ils valorisent à ce point le masculin devrait quand même mettre la puce à l’oreille.
Mais à force de décrire le monde, ils le modèlent également. L’écriture a son importance dans notre manière de percevoir ce qui nous entoure. Avec une écriture purement masculine, on invisibilise de facto les femmes. Elles ne seront que l’exception, le joli petit truc en plus dans un coin. Croire que nos mots, notre grammaire n’ont aucune incidence sur notre manière de pensée, c’est une illusion. De la même manière que n’avoir aucune autrice dans les programmes de littérature à l’école ou aucun grand nom de femmes dans les manuels d’histoire finit par laisser croire qu’elles n’ont de toute façon jamais rien fait qui mérite qu’on s’en souvienne. On t’efface pour que tu n’existes plus. Classique et diablement efficace.

Toutes ces jolies cravates…

D’autres histoires, que ce soit les révélations de plagiat d’un célèbre scientifique ou les accusations de viol concernant un youtuber, ont encore révélé la force de la solidarité masculine.
Je ne sais pas vous mais moi, je n’ai jamais entendu parler de la solidarité masculine. La solidarité féminine, elle, en prend régulièrement pour son grade : moquée, ridiculisée, elle ne serait que l’arme révélant la faiblesse des femmes là où le valeureux mâle n’a besoin que de sa propre force pour se défendre. Sauf que dès qu’il se sent menacé, le mâle va avoir ses congénères qui vont le soutenir, même face aux pires accusations. Présomption d’innocence même face aux 40 000 preuves, minimisation des faits, moqueries et si ça ne suffit pas, menaces et injures sexistes (pour démontrer que le sexisme n’existe pas, c’est ballot).

C’est aussi cette fameuse solidarité masculine, si omniprésente qu’elle a fini par se fondre dans le décor et par devenir la norme, qui fera préférer un homme plutôt qu’une femme pour un poste, qui fera qu’un homme gravira plus vite les échelons… et si une femme a une promotion, on imaginera d’office qu’elle ne le doit qu’à des coucheries ou des gâteries sous le bureau et pas à ses compétences et son travail (pour vous en convaincre jetez donc un œil au Tumblr Paye ton taf, particulièrement édifiant : non ce n’est pas le fait de quelques connards isolés, c’est massif et répandu !).
Exemples :
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Sources : Paye ton taf (http://payetontaf.tumblr.com/)

Les pires mufleries des hommes, les plus odieuses menaces ou agressions sont constamment minimisées voire niées : « c’est de l’humour », « il a eu un geste maladroit », « c’est un passionné », « non mais c’est rien, ça », « on sait qu’il a les mains baladeuses, tu aurais dû faire plus attention », et on ne compte plus les hommes politiques notamment qui continuent tranquillement leur mandat même accusés de violences ou de harcèlement.
Et qu’on ne me dise pas « Il n’a pas été condamné », quand on voit comme il est facile pour certains de stopper toute procédure judiciaire, quand ce n’est pas directement les forces de l’ordre qui refusent de prendre la plainte (certes, c’est illégal mais tu vas faire quoi ? Porter plainte pour refus de dépôt de plainte ??).

A côté de ça, la moindre petite boulette d’une femme va être montée en épingle et servir à stigmatiser toutes ses congénères. Rien ne lui sera accordé, aucune marge de manœuvre, une femme se doit d’être d’office parfaite et sans reproche, là où l’homme a droit à de multiples erreurs. DSK ? Polanski ? Allen ? Depp ? On minimise, on nie, on charge les victimes qui seraient forcément d’odieuses manipulatrices qui ne feraient ça que pour nuire (ce qui marche super mal, elles s’en prennent plein la tronche quand leurs agresseurs continuent tranquillement leur business) et au mieux, ils ne seront vus que comme de simples exceptions dans la masse, des connards isolés, parce que « tous les hommes ne sont pas comme ça » (sous-entendu « moi je suis trop cool, pétasse »). Mais si une femme fait une connerie, ça y est, toutes les femmes sont responsables.
(Explication scientifique donnée par un gentil masculiniste canadien anti-ivg : « c’est à cause de la survascularisation du vagin que les femmes ont le cerveau mal irrigué ». Je lui décerne la palme de l’originalité sexiste…)

Il était beau dans son genre, celui-là...

Il était beau dans son genre, celui-là…

La solidarité féminine est tout simplement un danger pour le patriarcat. Des femmes qui s’associent et se soutiennent, s’entraident et s’épaulent ? Grand danger. Alors on fait tout pour les monter les unes contre les autres, pour les désolidariser (même technique me semble-t-il du patronat face à la solidarité ouvrière, trop puissante), en les poussant à se déchirer, en exacerbant la moindre tension qui existe naturellement dans tout groupe. En mettant en avant le moindre comportement susceptible de casser le groupe, comme si c’était un comportement typiquement féminin (la jalousie ou les commérages par exemple, parce que c’est bien connu qu’aucun mec n’est jaloux au point de tuer sa compagne, ou que les hommes ne cancanent pas sur les autres autour de la machine à café). Et en martelant constamment que les femmes ne savent pas, ne peuvent pas, ne sont pas capables de, ne s’intéressent pas à, pour laisser toutes les décisions bien au chaud dans les réunions non-mixtes typiquement masculines (les Gentlemen’s club des siècles précédents, les conseils d’administration des grosses sociétés d’aujourd’hui). Quand on voit les témoignages de femmes qui quittent tel ou tel milieu (informatique, jeux vidéo, recherche, etc.) parce que ne supportant plus l’ambiance misogyne éreintante… évidemment qu’elles sont moins présentes quand tout absolument tout est fait pour qu’elles craquent !

Un cas d'école !!

Un cas d’école !!

Parce que les femmes sont trop dirigées par leurs émotions voyons (imaginez si on leur laissait le droit de vote, olàlà)… alors que les hommes excusent leurs « dragues » lourdes et leurs agressions par « on ne pouvait pas résister, voyons, une femme en jupe !! » (je suis lesbienne et je sais me tenir face à une femme en jupe, et même face à une femme en sous-vêtements, étrange, non ?).
Et à force de répéter à quelqu’un qu’il/elle est nul.le et incapable, il/elle finira par le croire. Surtout s’il/elle est seul.e, isolé.e.

Alors moi je veux bien que ce soit idiot de vouloir remplacer le masculin par le féminin. Je suis d’accord pour dire que remplacer une oppression par une autre serait stupide. Mais on en est loin. Très très loin. C’est un peu comme accuser les homo de précipiter le déclin de l’humanité parce qu’ils ne sont pas féconds alors qu’on est plus de 7 milliards sur la planète. On a une sacrée marge de manœuvre.
Vous trouvez qu’on en fait trop pour les femmes ? C’est parce que vous ne voyez pas tout ce qu’on fait CONSTAMMENT pour les hommes. Parce que ça fait partie du paysage. Parce que patriarcat. Parce que le pouvoir est encore très majoritairement dans des mains masculines et qu’il n’y a pas de raison que le partage vers plus de mixité se fasse par magie juste parce que le temps passe. Ce ne sera le fait que de la lutte féministe, sur tous les éléments du monde, du plus anodin au plus énorme, de la disparition du « mademoiselle » à celle du mariage forcé, de l’excision, des violences conjugales ou des viols de masse. Parce qu’il n’y a pas de petit combat, tout est lié et chaque détail est un rouage dans le mécanisme sexiste, forgé depuis des siècles par le masculin.
Et comme le dit cette chère Simone :

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A ne pas oublier, alors qu’on en est encore à remettre le droit à l’accès à l’avortement en question…

Ou même cette chère Ellen :
ellenpage02Alors non, je ne vais pas bosser à fond sur la parité pour laisser une jolie place à ces messieurs tant que ceux-ci ne se seront pas massivement relevés les manches pour en faire de même, pour reprendre leurs petits camarades sur leurs blagues sexistes, pour se battre contre la sacro-sainte notion de virilité et ses effets mortifères, pour se remettre réellement en question, pour arrêter de minimiser ou nier tout témoignage de femme qui met en cause leurs chers congénères. Pour enfin apprendre à fermer leur clapet et écouter quand une femme parle, au lieu de l’interrompre toutes les deux minutes !
Et en attendant…feminism_symbol
Et parce qu’elle le dit bien mieux que moi, je vous invite vers deux billets de Valérie sur son site Crêpe Georgette (et même tous les billets):
– Combien de temps 580 000.:
« J’ai parfois l’impression qu’il suffirait de pas grand chose pour que diminuent drastiquement les violences sexuelles ; que les hommes cessent de s’apitoyer sur ce que provoquent en eux le récit de NOS souffrances pour réfléchir à comment ils peuvent arrêter de les causer. »
De la banalité des violences sexuelles
« Je ne vous conseille pas spécialement de le faire ; les risques à témoigner existent. Mais je voudrais que, par nos témoignages, on commence à réaliser combien nous vivons dans une société sexuellement très violente pour les femmes.« 

Et il y a des centaines d’autres excellents textes sur le féminisme sur le net.
A vous de voir…

4 réflexions sur “Le masculin n’est pas neutre

  1. Merci pour ce texte. Pour la solidarité masculine, en France, les hommes en ont fait leur devise nationale :
    – liberté (pour les hommes, les femmes n’étaient pas libres, elles appartenaient à leur père puis leur époux, cela est à peine changé puisqu’on bataille toujours avec le « mademoiselle »)
    – égalité (entres hommes, les femmes ne votaient pas et sont toujours traité comme des inférieurs, salaire amputés, travail domestique non payé, triple journée de travail, objet sexuel…)
    – fraternité (le mot lui même est construit sur l’exclusion des femmes et même leur asservissement car il s’agit d’une solidarité entre hommes, et si on est entre soi, c’est contre un autre, donc contre les sœurs, les femmes)

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      • Oui sauf qu’en France la constitution à changé et le droit de vote est désormais accessible aux femmes, mais la devise nationale est restée la même, toujours cette fraternité omniprésente sur tous les frontons de mairie, au parlement, au sénat… comme si on gardais une possibilité de revenir en arrière. Qu’on oublie pas que pour les droits des femmes, rien n’est jamais acquis.

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